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REBROUSSEMENTS
Un retour s’accompagne toujours de ces infimes surprises qui trahissent ou complètent la mémoire d’un trajet : courbure d’un dénivelé, prononciation d’une localité, pas de danse ou anecdotes, tous ces confettis de réel qui échappent au mastic du souvenir. Parfois, on redécouvre un paysage comme on redécouvre des mots. On a ses mots d’été, d’hiver, on a ses mots d’amour. À les répéter jusqu’au tournis, ces mots-valises se délitent. Ils se délitent et se vicient, comme ces talismans qui se désenchantent à force d’invocations. La pensée n’est qu’une succession de bifurcations ; il n’est pas impossible de faire fausse route. Fausses pistes de la pensée…. Il est bon, dès lors, de revenir à l’intersection critique, à l’embranchement capital où l’on s’est fourvoyé, pour cheminer droit. Le retour sur ces pas - j’allais dire la retraite - est parfois la seule alternative à l’impasse. On se méprend sur les hommes, qui rebroussent chemin. Ils ne font pas machine arrière ; ils progressent de l’avant. Les grands révolutionnaires ont souvent opéré de tels rebroussements, condition sine qua non de nouveaux trajets. T.E Lawrence, Guérilla dans le désert : « Napoléon avait dit qu’il était rare de trouver des généraux acceptant de livrer bataille. Dans cette guerre calamiteuse, ceux qui pouvaient faire autrement étaient rares. Napoléon avait tenu ces propos, irrité par les délicatesses excessives du 18e siècle, époque où l’on avait tendance à oublier que la guerre donne le droit de tuer. Durant un siècle, sa maxime avait prévalu. Il était temps à présent de faire quelques pas en arrière. » Frantz Mynard |
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