Samuel Paty était un homme libre
qui s'efforçait d'éduquer les esprits à la tolérance et à l'esprit critique.
Réputé pour son humour et sa gentillesse, il était une cible de choix pour terroriser les consciences.
Samuel Paty a été décapité par un terroriste islamiste le 16 octobre 2020.
Aux personnes qui croient toujours que les victimes sont en parties responsables de ce qui leur arrive,
voici une citation du
philosophe et résistant Julien Freund :
« Comme tous les pacifistes, vous croyez que c'est vous qui désignez l'ennemi.
Du moment que nous ne voulons pas d'ennemis, nous n'en aurons pas, raisonnez-vous.
Or c'est l'ennemi qui vous désigne.
Et vous pouvez lui faire les plus belles protestations d'amitiés.
Du moment qu'il veut que vous soyez son ennemi, vous l'êtes.
Et il vous empêchera même de cultiver votre jardin.»
Photo prise sur la une de Paris Match
16 octobre 2020
Le bel hommage d'une enseignante paru dans Presse Océan :
Ce texte, c’est celui qu’elle a prononcé devant ses élèves de Terminale le lundi 2 novembre dernier,
au retour des vacances de la Toussaint.
« J’ai accueilli mes élèves comme j’ai pu », soulignait-elle en préambule de son mail : « J’étais très émue.
Comme j’avais peur de ne pas savoir quoi dire à mes élèves, j’avais écrit un texte la veille, que je leur ai lu en fin d’heure ».
« Vendredi 16 octobre 2020. Je termine mon dernier TP. Je range le matériel oublié sur les paillasses, mes feutres dans ma boîte.
Je passe un coup de tampon sur le tableau blanc, j’éteins les ordinateurs, ferme les fenêtres, retire ma blouse.
Un peu de gel hydroalcoolique sur mes mains, pour la dixième fois de la journée. Il est 17 h 30. Je rentre chez moi, à vélo.
En vacances, enfin. Je suis épuisée. Cette dernière semaine a été difficile.
Même heure, à Conflans-Sainte-Honorine. Tu salues d’un geste amical les élèves qui traînent devant le collège,
ton cartable à la main, avec les copies à corriger pendant les congés, le stylo rouge dans la trousse, bien rangé.
Ta famille t’attend. Elle ne sait pas encore que tu n’arriveras pas.
Mort d’être prof. Tu t’es pourtant appliqué à bien faire ton travail. Tu n’as voulu blesser personne.
Juste apprendre à tes élèves à réfléchir par eux-mêmes, à penser, à débattre, à être libres, intelligents. Et tu en es mort.
Depuis deux semaines, j’essaie de digérer. De me remettre de ton assassinat. Je n’y arrive pas.
Je suis bloquée, dans un état de sidération. La violence est trop grande, trop brutale.
L’enseignement, ce métier que j’aime, que j’adore même, qui me définit tout entière, depuis longtemps maintenant,
en plus d’être un métier difficile, est donc devenu un métier dangereux ?
Ce matin, j’ai repris mon vélo pour vous retrouver. Il me faut trouver les mots.
Les mots pour vous accueillir, les mots pour vous expliquer, les mots pour vous rassurer, vous redonner envie de venir au lycée.
On me l’a demandé. On me fait confiance.
Comment faire ? Moi qui ne comprends pas, moi qui ai peur, moi qui me sens littéralement perdue, un peu abandonnée aussi.
Vous parler de la liberté d’expression, des caricatures de Charlie Hebdo, de la laïcité, des valeurs de la République.
Vous expliquer l’intégrisme, l’intégration, l’Islam et l’islamisme, le terrorisme.
Vous parler des réseaux sociaux aussi, et des champs médiatiques…
Moi ? Là, ce matin, en une heure ? Moi qui ai appris à parler évolution du vivant, sélection naturelle,
loi de Hardy Weinberg, fréquences phénotypiques et fréquences alléliques, poules d’ornement et loups de Yellowstone…
Moi qui aime vous regarder compter les plantains et les grandes mauves dans la cour,
mesurer la surface des lichens sur le tronc blanc des bouleaux déplumés ?
Comment être à la hauteur ? La mission est bien trop lourde, bien trop délicate, bien trop importante.
Et pourtant, je sais que vous en avez besoin.
Alors voilà. Je vais juste vous dire que je suis contente de vous retrouver après ces deux semaines de congés.
Vous dire que la période est agitée, mais qu’on va y arriver, ensemble. Je suis là, à vos côtés.
Vous dire que c’est beau d’apprendre, d’acquérir des compétences, de consolider des connaissances, de s’ouvrir pour comprendre.
Frotter parfois son point de vue à celui de l’autre, être d’accord, pas d’accord ;
mais toujours s’écouter, se respecter, échanger, pour évoluer.
Et ainsi, apprendre à argumenter, à raisonner, à se positionner avec honnêteté, sans agressivité.
Il est là, mon métier. Vous épauler et vous regarder grandir.
Consolider suffisamment votre pensée, pour que vous soyez libres, autonomes,
et que jamais vous ne laissiez quelqu’un d’autre réfléchir à votre place, vous imposer sa vision des choses, et téléguider vos pas.
Ce n’est pas facile. Mais j’ai confiance en vous.
Ce matin, je pense à toi, Samuel, à ta famille, à tes élèves, à tes collègues, à tous ceux qui ont eu la chance de croiser ta route,
de te rencontrer, de t’écouter. Nous sommes tous orphelins.
Je te promets de continuer à faire, comme je peux, ce que tu faisais, si bien.»
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Vendredi 13 octobre 2023 vers 9 heures du matin.
En souvenir du drame du 16 octobre 2020, j'ai collé cette petite plaque de rue commémorative.
J'étais loin d'imaginer que 2 heures plus tard,
Dominique Bernard,
professeur de français à Arras, allait être assassiné
dans des circonstances similaires...
Une photo de Dominique Bernard.
Dominique était « Un homme d’une grande bonté, à l’écoute, d’une douceur : en se déplaçant en voiture il n’aurait pas écrasé un lapin. »
« Au-delà de son parcours, ce qui m’émeut, c’est qu’il a protégé ses élèves. »
La soeur de Samuel Paty a de quoi être scandalisée.
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